Le Sénégal se dote enfin de lois de mise en œuvre du Statut de Rome

Le Sénégal se dote enfin de lois de mise en œuvre du Statut de Rome

Francis Dako, de la Coalition pour la Cour pénale International. Coordinateur pour l’Afrique francophone.

Le 31 décembre 2007, l’Assemblée nationale sénégalaise a adopté deux lois modifiants le Code pénal et le code de procédure pénale, ayant toutes deux vocation à interniser dans le droit positif sénégalais, le Statut de Rome de la CPI que le Sénégal a ratifié le 2 février 1999. Il aura donc fallu 8 longues années au Sénégal pour se conformer à son engagement international d’adapter sa législation au Statut de la Cour.

Il faut saluer cette étape décisive qui classe le Sénégal parmi les Etats parties ayant adopté des lois de mise en œuvre traitant de la complémentarité et de la coopération. Il en faut davantage dans une Afrique qui compte vingt neuf ratifications contre seulement une loi de mise en œuvre, celle de l’Afrique du Sud, alors que l’essentiel du travail de la Cour se fait en Afrique. La Coalition pour la CPI exhorte les Etats africains à adopter des lois de mise en œuvre dans leur législation nationale pour permettre aux tribunaux nationaux d’aborder avec efficacité les violations graves des droits humains mais aussi pour optimiser la pertinence de la Cour en Afrique qui compte désormais quatre enquêtes et plusieurs autres situations sous analyse.

Mais il faut remarquer d’entrée que si le législateur sénégalais s’est montré très volontariste dans les exposés des motifs, les deux textes se révèlent peu généreux, qu’il s’agisse de la complémentarité, des poursuites ou de la coopération.

Relativement à la complémentarité, il est essentiel que le génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre ainsi que d’autres crimes de droit international soient incorporés en droit national de manière à permettre à l’Etat Sénégalais de remplir ses obligations fondamentales d’enquêter et de poursuivre ces crimes. Le législateur, n’a pas procédé à la transposition littérale des infractions définies par le statut de Rome. Or, il serait judicieux de reprendre la définition des articles 7 et 8 du Statut pour éviter toute confusion, source d’une contrariété de jurisprudence selon que le Juge sénégalais ou le Juge de la CPI statue.

Concernant les poursuites, il faut saluer d’emblée une disposition majeure, celle instituant la compétence extraterritoriale des juridictions sénégalaises pour réprimer les crimes internationaux indépendamment du lieu ou l’infraction a été commise et de la nationalité de son auteur pour peu que celui-ci ou la victime réside au Sénégal. Cette disposition est salutaire dans la mesure où elle donne au Sénégal, terre d’accueil, les moyens juridiques pour poursuivre et juger les auteurs de crimes graves pensant trouver refuge sur son territoire, mais aussi la possibilité d’accepter des dossiers résiduels du TPIR pour peu qu’il y ait la volonté politique.

Mais il est aussi regrettable que la loi de mise en œuvre soit restée silencieuse sur les questions d’amnistie, de grâce et autres mesures similaires, comme la loi n’a pas non plus traité des questions d’immunité qui s’attachent à la qualité officielle d’une personne en vertu du droit interne sénégalais ou du droit international, autant de mesures qui sont regardées par le statut de Rome comme participant de la culture de l’impunité. Autre préoccupation cruciale liée aux poursuites, la coopération aux fins de répression des atteintes à l’administration de la justice n’est prévue dans aucune des 2 lois. Il importe de reproduire l’article 70 du Statut de Rome en indiquant clairement l’échelle des peines et la juridiction compétente pour connaître de ces atteintes.

Tout aussi regrettable est l’absence de disposition autorisant la Cour à siéger ou à exercer ses fonctions et ses pouvoirs sur le territoire sénégalais conformément aux articles 3 et 4 du Statut. Une telle disposition aurait été importante dans la mesure ou, à tord ou à raison, la Cour continue d’être vue par bon nombre d’africains comme une institution occidentale, lointaine des préoccupations africaines. Prévoir dans les lois de mise en œuvre la possibilité d’une justice qui se fait le plus près possible des lieux ou les crimes ont été commis aura un impact certain sur la pertinence de la Cour.

Enfin, la loi modifiant le Code de procédure pénale reconnait à la Cour, aux Juges, Procureurs, Procureurs adjoints et Greffiers des privilèges et immunités à l’exclusion des autres auxiliaires tels que les Conseils, Experts, Témoins et autres personnes ressources. Une telle disposition doit être amendée et reconnaître les privilèges et immunités à tous les auxiliaires de la Cour, conformément aux dispositions pertinentes de l’Accord sur les Privilèges et Immunités de la cour que le Sénégal a signé le 19 Septembre 2002.

S’agissant de la coopération, la loi prévoit les principaux mécanismes de coopération : l’entraide, l’arrestation et la remise. Au cœur du mécanisme il y a un organe politique : le Ministère de la justice et une autorité judiciaire chargée de l’exécution des demandes composée du Procureur Général près la Cour d’Appel de Dakar et de la chambre d’accusation de ladite Cour. Mais des difficultés liées à l’arrestation et la remise d’une personne demeurent. Les dispositions de la loi sur ces points sont problématiques dans la mesure où elles ne créent pas de procédure de remise.

En tout état de cause, un pas décisif vient d’être franchi au Sénégal avec la promulgation de ces lois de mise en œuvre par le Président de la République et leur publication dans le Journal Officiel. Il faut poursuivre le travail de lobbying et de plaidoyer pour des mesures d’adaptation pertinentes permettant aux juridictions sénégalaises d’exercer leur compétence primaire en pleine coopération avec la Cour pénale internationale.

date de publication : 29 mai 2007

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