Interview du premier représentant des victimes devant la Cour pénale internationale

Interview de Luc Walleyn, représentant des victimes devant la CPI, avocat au Barreau de Bruxelles, ancien Président d’ASF Belgique

1) Vous êtes, avec Maître Mulenda, les premiers représentants de victimes dans l’affaire Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo. Quelles sont, selon vous, les avancés juridiques importantes réalisées en matière de droit des victimes devant la CPI ?

Le Statut de Rome et les Règles de procédure et de preuves n’ont fourni qu’un squelette pour la participation des victimes aux procédures devant la Cour. Rien n’était prévu pour la phase d’enquête, et les modalités pour l’intervention des victimes devant la chambre préliminaire étaient à déterminer par la Cour. Les représentants des victimes ont donc dû se battre pour acquérir leur place. Nous nous sommes heurtés, non seulement à une forte opposition de la part de la Défense, ce qui est somme toute logique, mais également dans le chef du Procureur.

A la demande d’un premier groupe de victimes, organisé par la FIDH, la Chambre préliminaire I avait déjà prononcé, le 17 janvier 2006, une décision de principe confirmant le droit des victimes d’intervenir dans la « situation » dès le stade de l’enquête, même si elles ne peuvent pas encore être considérées comme victimes dans une affaire précise.

Nos clients, des anciens enfants soldats et leurs parents, ont été autorisés le 24 juillet 2006 à participer tant dans la « situation en R.D.C. » que dans l’affaire contre Thomas Lubanga. Pour des raisons de sécurité, ils ont obtenu le droit de participer à la procédure tout en gardant leur anonymat, non seulement vis-à-vis du public, mais aussi de la Défense. D’emblée, la Chambre préliminaire nous a invités à formuler des observations écrites sur une demande de mise en liberté introduite par la Défense, formulée comme exception d’incompétence. Plus tard, nous seront aussi autorisés à formuler des observations sur une demande de mise en liberté provisoire « classique », alors que les victimes n’ont pas toujours ce droit dans certains pays de tradition romano-germanique.

Tant la Défense que le Procureur ont essayé en vain d’obtenir la réformation en appel de la décision autorisant la participation des victimes. Ils ont aussi contesté nos propositions relatives aux modalités de notre participation à l’audience de confirmation des charges. Alors que la Défense voyait les victimes comme une deuxième partie « accusatrice », le Procureur se méfiait manifestement de victimes qui, de par leur participation dans la procédure, seraient en mesure de critiquer sa politique de poursuites, de troubler sa stratégie ou de compliquer les débats.

Finalement, la Chambre préliminaire I a élaboré une solution de compromis. Les victimes ont obtenu le droit de participer à l’audience de confirmation des charges et à certaines conférences de mise en état, de faire des déclarations en guise d’ouverture et de clôture de l’audience, et de présenter des observations écrites par rapport à la demande du Procureur. Cependant, l’anonymat des victimes était invoqué pour interdire à leurs représentants la participation au huit clos, et pour limiter la communication des pièces du dossier à celles qui ont un caractère public. Cette dernière décision a été quelque peu nuancé pendant les débats, et les parties ont été invitées à dresser une liste de tous les documents produits par elles qui n’ont pas de caractère confidentiel, après quoi les représentants des victimes ont eu accès à ces documents par le biais du système électronique de la Cour. Enfin, la chambre d’appel a admis également la participation des victimes au stade de tout appel, pour autant que les victimes justifient un intérêt.

Finalement, j’ose croire que la participation de quatre victimes à l’audience de confirmation des charges était plus que symbolique. Dans ce premier procès devant la CPI, nous avons pu compléter la position du Procureur avec les vues et préoccupations des victimes, et imprimer d’autres accents. Pour nos clients, mais probablement aussi pour l’ensemble des victimes en Ituri, ceci n’était pas anodin, et soulignait l’orientation « pro victimes » de cette nouvelle juridiction internationale.

2) Quelles sont, selon vous, les améliorations qui pourraient être apportées au statut des victimes devant la CPI ?

Les rédacteurs du Statut ont décidé que les victimes ne sont pas des « parties civiles » qui peuvent formuler des accusations et produire des preuves, voire provoquer des poursuites. Ce choix doit être respecté. Pourtant, le système actuel est extrêmement lourd : les victimes doivent compléter un formulaire assez bureaucratique et justifier prima facie d’un préjudice en lien direct avec les charges contre la personne poursuivie avant d’obtenir le droit d’intervenir dans la procédure. Elles doivent ensuite prouver un intérêt personnel à chaque stade, également à la procédure d’appel, et leurs représentants ne peuvent que très exceptionnellement interroger des témoins, au moins devant la chambre préliminaire.

Le plus négatif me semble cependant la décision d’exclure les victimes des audiences à huis clos, et de leur refuser l’accès aux documents confidentiels produits par les parties devant la Cour.

Enfin, le système d’aide juridique pour les victimes est encore mal réglé. Notre intervention avant l’audience de confirmation des charges n’a été possible que grâce à un engagement pro bono et au soutien de l’ONG « Avocats sans Frontières ». La Chambre a accordé l’aide légale pour une autre victime, mais uniquement pour l’audience proprement dite, et pour un seul conseil, alors que la technicité de la procédure, la nécessité d’assurer un suivi avec les victimes et les difficultés de communication entre la R.D.C. et La Haye exigent en fait l’assistance d’une équipe d’au moins deux conseils.

3) Comment envisagez vous le rôle et la place des victimes par rapport au Procureur, lors de la prochaine phase du procès ?

De toute évidence, le Procureur et les victimes ont des intérêts communs : découvrir la vérité, poursuivre les auteurs des crimes commis. Parfois il y aura aussi des désaccords. Je suis partisan de bonnes relations, voire d’une réelle collaboration entre parquet et représentant des victimes. J’ai aussi l’impression que la méfiance initiale vis-à-vis des victimes s’estompe. Bien sûr une telle collaboration doit être réciproque. Le parquet ne peut pas s’attendre à ce que les victimes partagent avec lui les informations dont elles disposent, communiquent des preuves et s’exposent parfois à des représailles en fournissant des témoignages, sans qu’il y ait aussi quelque chose en échange. Le parquet devrait davantage soutenir les victimes qui participent à la procédure, mais aussi écouter les victimes avant de faire certains choix (qui poursuivre, pour quelles charges… ?).

La création de la Cour Pénale Internationale a créé un énorme espoir chez les victimes. Si celles-ci ne s’y retrouvent pas, si elles perdent confiance, l’image de la Cour dans le monde se retrouvera fortement altérée.

date de publication : 29 mai 2007

Ressources thématiques

Lettre d’information

Retrouvez l’actualité de la CPI, les actions conduites par la CFCPI, des interviews, des événements... s'inscrire à la lettre

Les recommandations de la CFCPI sur le projet de loi

Résume des recommandations de la CFCPI aux parlementaires sur le projet de loi portant adaptation du droit pénal français au Statut de la Cour pénale internationale lire la suite

Un nouveau juge français à la CPI

L’Assemblée des Etats parties élit trois nouveaux juges lire la suite

La compétence universelle : ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas

Questions et réponses sur la compétence universelle lire la suite

lettre d’informations n°8

Mai 2008 lire la suite

Jean-Pierre Bemba arrêté par les autorités belges

La CPI annonce l’arrestation, en Belgique, de l’ancien vice-président de la République démocratique du Congo, Jean-Pierre Bemba, recherché pour les crimes commis par ses troupes en Centrafrique en 2002-2003 lire la suite

Après le vote au Sénat, la France reste une zone d’impunité pour les auteurs de crimes internationaux commis à l’étranger

Après le vote du Sénat, la CFCPI dénonce un texte complaisant lire la suite

La France a retiré la "déclaration de l’article 124"

Rachida Dati a annoncé la pleine reconnaissance par la France, à compter du 15 juin, de la compétence de la Cour pénale internationale lire la suite

Le Procureur Moreno Ocampo demande l’arrestation du président du Soudan

Après l’arrestation de Jean-Pierre Bemba, ancien vice-président de RDC accusé de crimes commis en Centrafrique, c’est aujourd’hui le chef d’Etat soudanais qui est visé, à propos du Darfour. lire la suite

Rapport de Human Rights Watch sur la CPI

Human Rights Watch dresse le bilan de cinq années de fonctionnement de la CPI et formule quelques recommandations lire la suite

108 Etats parties au Statut de Rome

Ratification du Suriname et des Iles Cook lire la suite

Projet de loi : l’examen par le sénat

Télécharger l’intégralité du débat au Sénat sur le projet de loi d’adaptation au Statut de Rome lire la suite

Juger enfin en France les auteurs de crimes internationaux

La CFCPI proteste contre un texte que ses auteurs ont voulu rendre inapplicable. lire la suite

L’arrestation de Pinochet. Célébrer l’universel ou l’exception ?

Avec l’autorisation du Monde.fr nous reproduisons cette tribune publiée à l’occasion du dixième anniversaire de l’arrestation du général Pinochet. lire la suite

CPI - Dati veut aussi supprimer les tribunaux internationaux

Avec l’autorisation de Charlie Hebdo, nous reproduisons cet article lire la suite