Interview de Delou Bouvier, magistrate.

Delou Bouvier est magistrate, conseiller référendaire à la Cour de Cassation. Représentante du syndicat de la magistrature à la CFCPI.

1) Quel est l’enjeu pour la justice française de l’avènement d’une justice pénale internationale ?

C’est un enjeu fondamental car un nouvel ordre pénal international s’avère indispensable à l’appréhension des crimes les plus graves et à l’effectivité d’une réponse pénale à dimension universelle. Mais la justice française, à l’instar de beaucoup d’autres justices nationales, n’a pas encore pris la mesure de cet enjeu. Les mécanismes de coopération européenne et internationale sont encore embryonnaires dans les faits. Les magistrats français sont en outre peu informés des méandres du droit international pénal et peu formé à l’instruction et au jugement de telles affaires. Sans l’implication de la justice nationale, les juridictions pénales internationales ne pourront pas mener à bien la mission qui leur est assignée. En effet, nous constatons, depuis la mise en place des TPI et de la CPI que la compétence est et restera limitée, quant aux « situations » et aux « affaires » qui relèveront de ces juridictions. Une justice effective ne pourra donc se réaliser que par une nécessaire complémentarité et coordination des justices internes et de la justice internationale.

2) Quels sont les obstacles juridiques et factuels que rencontre la justice française lors du traitement d’un crime de guerre, crime de génocide ou crime contre l’humanité ?

Le premier obstacle juridique est à l’évidence la non adaptation, en l’état, en droit pénal interne, du Statut de Rome. Le droit pénal français n’aborde pas encore tous les crimes relevant de la compétence de la Cour pénale internationale et des définitions juridiques en droit interne peuvent entrer en conflit avec les définitions internationales. Il est donc indispensable d’harmoniser le droit interne au regard des nouvelles exigences internationales, afin de permettre, notamment, aux magistrats français de s’inspirer de la jurisprudence internationale. Il est fort regrettable que la France peine ainsi à accoucher de sa loi d’adaptation et encore plus regrettable qu’elle ait pu envisager, dans un premier temps, d’apporter des restrictions importantes, dans son avant-projet de loi, à la mise en œuvre de l’action publique dans de telles affaires. Ainsi le gouvernement, dans cet avant-projet, qui a fort heureusement été retiré, envisageait de ne pas autoriser le déclenchement de l’action publique par voie de plainte avec constitution de partie civile. Or nous savons que, en la matière, une telle possibilité procédurale est essentielle pour contourner l’inertie voire l’hostilité du ministère public, dépendant statutairement du Garde des sceaux, donc du pouvoir exécutif. Nous attendons avec impatience l’adoption de cette loi par le Parlement et espérons que ce texte respectera les exigences d’une réponse pénale effective à l’encontre de tels crimes ainsi que celles du procès équitable. Quant aux obstacles factuels à l’efficience de la justice pénale interne en la matière, ils sont nombreux et mouvants selon les affaires. Outre le déficit de formation et de moyens des magistrats et des OPJ (officiers de police judiciaire), l’obstacle majeur me semble être les difficultés extrêmes de nos gouvernements à « laisser faire » la justice de façon sereine et indépendante. Les enjeux politiques et diplomatiques sont souvent très importants et l’expérience française nous démontre déjà l’implication négative du pouvoir exécutif dans ce contentieux délicat.

3) Le principe de la compétence universelle est très discuté et actuellement non adopté dans sa plénitude par les législations internes. Qu’en pensez vous ?

Suite au recul enregistré par la législation belge, la compétence universelle n’a pas l’heur de plaire aux législateurs nationaux. En France, le débat est rude. La compétence universelle présenterait l’avantage de ne pas créer des îlots territoriaux d’impunité pour les auteurs des crimes les plus graves. Nous pouvons constater qu’en l’état des textes français, la bataille juridique se noue immédiatement autour de la question de la compétence des magistrats français. L’affaire dite « des disparus du Beach de Brazzaville » qui a donné lieu à un arrêt de la Chambre criminelle de Cassation du 10 janvier 2007 a permis de préciser la compétence des juridictions françaises de façon assez large et cela a été accueilli de façon très positive par les ONG. Là encore le texte de loi d’adaptation du Statut de Rome constitue une échéance d’importance car il devra assurer une compétence la plus large possible afin que la justice française puisse, par exemple, connaître d’un crime commis à l’étranger, sur une victime étrangère sans que l’auteur présumé des faits ne réside nécessairement sur le territoire national. Néanmoins, il est important que des garanties procédurales soient assurées à toute personne mise en cause pour de tels faits en contrepartie d’une compétence ainsi élargie.

date de publication : 27 juin 2007

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