Merci à Charlie Hebdo de nous avoir permis de reproduire cet article de Sylvie Coma paru dans le numéro du 15 octobre 2008
COUR PÉNALE INTERNATIONALE. Dati veut aussi supprimer les tribunaux internationaux
Un projet de loi sur la « compétence universelle » de la France sera bientôt en débat à l’Assemblée. Les criminels de guerre peuvent égorger tranquille. Ce n’est pas avec ce texte que les juges français pourront les coffrer.
Quand Rachida Dati se pique d’aider la Cour pénale internationale (CPI) dans sa lutte mondiale contre l’impunité, c’est en y mettant une « french touch » des plus originales. Pour célébrer, avec le faste requis, le dixième anniversaire du traité de Rome, la garde des Sceaux a décidé d’étendre la « compétence universelle » de la France. C’est vrai que, pour l’heure, celle-ci est plutôt étriquée, puisqu’elle s’arrête aux actes de torture et de terrorisme, ignorant allègrement les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le génocide (à l’exception de ceux commis au Rwanda et en ex-Yougoslavie, jugés par deux tribunaux internationaux spécifiques, avec lesquels nous avons des accords de coopération).
La ministre a donc inséré dans le Code de procédure pénale un article « novateur », selon ses dires, qui « va même au-delà des exigences de la Cour pénale internationale ». Las. Force est de constater que le bolide législatif est aussi performant qu’une voiture à pédales avec des roues carrées. Les 44 organisations de la Coalition française pour la Cour pénale internationale (CFCPI) ne s’en sont toujours pas remises. Selon l’avocat Simon Foreman, président de la Coalition et membre d’Amnesty International, « aucun système juridique en Europe n’accumule autant d’obstacles à la poursuite des criminels de guerre et des génocidaires »...
À chaque charnier son terroir
Quatre conditions en acier blindé cadenassent la mise en oeuvre de la disposition Pour que les poursuites soient possibles, il est d’abord exigé que le criminel de guerre présumé ait eu le tact d’établir sa « résidence habituelle » sur le territoire français. C’est-à-dire, selon le jargon juridique, d’y avoir fixé « de manière stable, effective et permanente le centre de ses attaches familiales et intérêts matériels ». Une trouvaille.
En Europe, seule la « simple présence » d’un suspect est requise dans ce type de procédures. C’est ainsi que Pinochet a pu être arrêté alors qu’il se trouvait à Londres pour des examens médicaux, le 16 octobre 1998. Et en France, cette mesure est en totale contradiction avec l’actuelle législation sur les crimes commis au Rwanda et en ex-Yougoslavie. Ainsi que sur les actes de tortures alors qu’un « tortionnaire » de base risque aujourd’hui de se faire coffrer dès qu’il vient passer un week-end en France, le génocidaire, lui, pourra tranquillement goûter les charmes de notre pays tant qu’il n’aura pas décidé de s’y « installer durablement ».
Une mesure innovante, qui va sérieusement enrichir le potentiel touristique de la France en la transformant en destination de rêve pour criminels de guerre. En plus, vu les trois autres conditions requises, les génocidaires ne risqueront pas grand-chose à prolonger leur séjour de remise en forme dans notre république.
France, terre d’asile pour génocidaire
La deuxième condition, par exemple, impose le principe de la « double incrimination ». Traduction : les juridictions françaises ne pourront enclencher de poursuites que si les crimes sont également punissables dans le pays d’origine des suspects « Ce qui revient à dire que le génocide ne sera pas punissable st la législation du pays ou il a été commis ne le prévoit pas ! », résume le président de la CFCPI.
La plupart des crimes qui caracolent en tête du hit-parade des horreurs de ce monde ayant ceci de particulier qu’ils sont souvent commis avec l’assentiment — voire à l’instigation — des gouvernants du pays ou ils ont eu lieu, les criminels de guerre soudanais peuvent donc rappliquer chez nous, en toute sérénité. Ce n’est pas l’homme fort de Khartoum, Omar el-Bechir, qui leur causera des ennuis judiciaires. « Idem pour les Russes, avec Vladimir Poutine. A priori, quand on n’a pas ratifié le statut de la CPI, on est encore moins enclin a poursuivre soi-même les crimes relevant de la compétence universelle », s’énerve Karine Bonneau, responsable du bureau Justice internationale à la FIDH, membre de la CFCPI.
Le troisième tour de clé est encore plus radical. Si la loi passe, le monopole des poursuites contre les criminels étrangers sera confié au parquet. C’est-à-dire, au ministère public. Voilà au moins une mesure qui a le mérite de tout simplifier. Car si les victimes ne peuvent plus déclencher d’enquête pénale, il n’y aura plus de procès du tout, résume Karine Bonneau. « Sur la vingtaine de procès d’importance dans lesquels la FIDH est partie civile, à chaque fois, ce sont les victimes qui ont été à l’origine des procédures. Jamais le parquet… »
Le bouclage ne serait pas complet sans la quatrième et dernière précaution ministérielle : « l’inversion du principe de complémentarité ». Le nec plus ultra, permettant de faire l’économie d’intempestives et inutiles procédures judiciaires. Selon le statut de la CPI, ce sont les tribunaux nationaux qui, en priorité, doivent juger les responsables de crimes internationaux. La Cour n’intervient qu’en cas de défaillance de leur part. Eh bien, en France, on a décidé que, pour nous, ça allait se passer dans l’autre sens. Si le texte est voté, les juridictions françaises devront d’abord demander à la CPI de décliner expressément sa compétence, avant de pouvoir être saisies. « Ce, qui va engorger la Cour internationale d’affaires qu’elle n’a pas à connaître. Et l’étouffer de travail, puisqu’elle va devoir étudier les dossiers que lui confie aimablement la France, pour pouvoir les refuser. Autant d’affaires qui vont être différées. Voire jamais traitées », pronostique Karine Bonneau.
Comment engorger un tribunal
En résumé, la philosophie générale de cette compétence universelle « à la française » repose sur l’axiome suivant : plus le crime est grave et plus la France est bienveillante. Les cerveaux planificateurs de massacres qui n’ont pas eu le mauvais goût de tremper directement leurs mains dans le sang de leurs victimes n’auront donc rien à craindre de la justice française. Un grave retour en arrière. Qui plus est, de très mauvais augure : d’ici à ce que Rachida Dati décide de tout harmoniser par le bas en s’attaquant aussi aux procédures visant les larbins tortionnaires ayant agi sur ordre...
SYLVIE COMA
date de publication : 22 octobre 2008
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